Hésitation sur les mots
La mémoire des mots, N°104
Même réaliste, tout récit se construit sur d'autres critères que ceux du réel lui-même. De leurs fenêtres, de nombreux photographes mitraillent la foule. Ça ne colle pas bien, il hésite entre ses mots…
Un loup bipède, bave à la mâchoire, viande sanguinolente à la main, poursuit, de ses assiduités obscènes tout ce qu'il juge être une femme. Il n'a pas de raison profonde de choisir «Prince» plutôt que «Cosaques», car si le réel, d'une certaine façon, le guide, il dispose d'une large marge d'autonomie… A cause de la forme même du mot, c'est «Prince» qu'il retient. «Prince» se présente. Il aimerait comprendre vraiment tout cela, analyser finement ce qui se passe, mais il n'est pas fait pour l'introspection : tout sentiment évanescent, désordonné, ou approximatif échappe à son fonctionnement profond. Il aimerait tant savoir ce qu'est vraiment un mot, d'où vient ce plaisir étrange que l'on en tire et pourquoi leur mise en relation produit des effets si divers. Le hasard seul lui donne son premier mot: grâce… Pourquoi grâce?… Il ne saurait le dire. Depuis le masque s'impose la violence extrême d'un regard perdu. Dans le visage figé de carton, derrière le trou des yeux, il devine un regard d'une obsédante intensité… Il n'a que d'excellents souvenirs de cette ville, et surtout de son carnaval…