Un dialogue muet des corps
Le peintre est pétrifié: le corps qui
s’est dévoilé l’a saisi par sa plénitude, sa sensualité. Ses crayons
animent sa toile. Des formes dynamiques s’y esquissent. Mais il
n’arrive pas à comprendre la joie qui illumine maintenant le visage de
la jeune femme.
Comme une stripteaseuse, sans quitter le peintre
des yeux, elle glisse un doigt dans la ceinture, se penche, fait
doucement glisser le slip sur ses jambes. D’un simple mouvement des
jambes, elle projette ses chaussures vers lui. Alors elle ferme les
yeux, se cambre vers lui comme si elle offrait son sexe, se caresse.
Elle
est là, devant lui, complètement nue, mis à part ses souliers à talon
très haut qu’elle n’a pas ôté, le corps parcouru de frissons, dans un
état d’excitation sexuelle évidente.
Le peintre a un moment
d’hésitation. S’indigner au risque de la faire fuir, perdre son modèle?
Se précipiter vers elle? Il essaie de lire dans ses yeux… mi-clos, ils
disent: «Ne me touchez pas mais peignez-moi ainsi.»
Le peintre
dessine. Mais c’est une expérience curieuse: quand son regard se
promène sur le corps de la jeune femme, quand ses doigts en reportent
les courbes sur la toile, il en lit les effets sur sa peau, un
tremblement presque imperceptible, une lente ondulation sensuelle. Il
ne dessine pas, tatoue ce corps qui s’expose, caresse la toile et cette
caresse a pour lui une véritable force sensuelle.
Il pense: «Il
me faut dessiner, dessiner avec le plus grand calme, la plus grande
attention possible pour voir si mon excitation s’apaise, sinon je ne
sais où on va.»
Cependant la jeune femme ne fait vers lui aucun
geste. Elle est comme isolée dans son univers, comblée, n’a
besoin de personne. Le peintre est le seul à être troublé.
Ce
dialogue muet des corps dure ainsi près d’une heure, puis quand le
peintre a tracé à grands traits sur sa toile un ensemble de formes
souples qui laissent deviner ce qui sera plus tard un corps, que son
travail se ralentit, sûre d’elle, elle se rhabille.
Quand elle a
terminé, redevenant une jeune bourgeoise, elle s’avance calmement vers
le peintre, lui serre poliment la main et à nouveau rougissante, lui
dit: «Je reviendrai demain. A la même heure?»