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Écrits de Marc Hodges
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18 avril 2006

Comment j'écris…

Il est aussi facile de se tromper soi— même sans s'en apercevoir, qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent.
La Rochefoucauld. Maxime 115.


Les commencements me fascinent sans fin. Ce moment troublant, quand l'écrivain devient témoin pour traduire de pures possibilités dans un nouveau système de signes renferme tout le danger intrinsèque à l'acte même de raconter des histoires: une fois engagé, plus question de faire demi— tour, tout le texte est là. Et, dans la légère excitation de ce risque suspendu, l'on voudrait indéfiniment prolonger l'attente, faire des calculs pour voir surgir sur le papier des chiffres, des nombres inconnus, dont le sens échappe mais après quoi l'on rêve... Écrire, comme cela des romans... J'aurais pu, par exemple, remplir des pages à évoquer l'une après l'autre ces choses qui faisaient d'un été à X... le plus beau moment qui se puisse concevoir d'une vie, d'une expérience vécue, nourrie de paysages, de rencontres, d'émotions, de désirs, de drames, faire comme si le but de la littérature était d'empêcher le temps de s'évanouir à jamais, traduire au mieux ce qui préexiste en soi à l'écriture même du livre. Mais il n'y a rien de plus redoutable que l'égocentrisme et je ne cherche pas à expliquer ce qui s'écrit par la vie de l'homme qui l'écrit. L'identité profonde d'un écrivain réside dans ce qu'il publie, non dans ce qu'il vit. Seul le paysage de l'imagination est réel, impose le style qui permet de créer un espace littéraire. Il y a en elle une sauvagerie et une violence cachées, prêtes le moment voulu à foncer comme un cheval qui galope dangereusement dans la nuit. Tout comme la musique doit être faite de sons, la littérature doit être faite de mots. Je me suis depuis longtemps rendu compte que les œuvres littéraires ne peuvent que trahir la réalité des faits, laisser leurs personnages s'inventer des excuses pour l'irréalité de leurs actes.

Dans les atermoiements de ce début se trahit l'embarras d'un récit dont je dois avouer la fraude: bien que j'en possède le copyright, que j'en touche les droits éventuels, la signature en est apocryphe... Plus précisément, ce texte ne m'appartient pas complètement; plutôt, pas tout à fait; du moins pas directement... Si dans cette approximation il y a faute, je réclame le droit de la commettre car il est bien difficile de démêler si un procédé net, sincère et honnête est un effet de probité, d'habileté ou de malversation. Nous avons plus de paresse dans l'esprit que dans le corps et il n'est pas d'exercice intellectuel qui ne soit finalement utile. J'aimerais assez avoir la chance de voir mon texte interdit pour plagiat. Cela lui donnerait de la célébrité, peut— être même de la profondeur. Attribuer l'Imitation de Jésus Christ à Louis-Ferdinand Céline ou à James Joyce, n'est-ce pas après tout renouveler suffisamment les minces conseils spirituels de cet ouvrage? L'écrivain est une sorte d'ingénieur qui croit savoir où il veut en venir et tente de résoudre les problèmes dont il perçoit le but. Mais passons! Que ce texte ne m'appartienne pas ne signifie pas non plus qu'il ait été subrepticement emprunté à un ami; que, sous mon nom, j'aie publié l'écrit peu connu d'un écrivain oublié; ou que, comme Pierre Ménard, ce héros Borgésien consacrant sa vie à la réécriture du Quichotte, j'aie recréé — en toute honnêteté intellectuelle: sans en changer un mot— l'œuvre connue d'un écrivain célèbre... Rien de tout cela, personne n'a été volé car tous les écrivains doivent perpétuellement l'être: l'objet littéraire est une étrange toupie qui n'existe que dans le mouvement.

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