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Écrits de Marc Hodges
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31 décembre 2005

Une séance d'écriture (Palançy 08)

Le volontaire, un nommé Khat, jeune homme fin aux cheveux très noirs, semblait bien embarrassé. Il prit le stylo, commença à écrire. Sur l'écran à diodes, les pastilles tracèrent lentement un texte hésitant, maladroit: «C'est une journée...», «C'est une journée grise, une journée triste...» Il réfléchit longtemps, le texte s'effaça, devint «C'est une journée grise et triste, il est midi, il fait bon, le soleil étincelle dans un ciel pur...», nouvel effacement: «dans un ciel uniformément pur, les oiseaux...». Nouvel arrêt, le texte n'avançait pas, l'écriture était laborieuse. Une légère sonnerie se fit entendre:

"Le temps est épuisé dit Palancy, quelqu'un d'autre parmi vous veut-il essayer?" Une jeune femme, présentée comme Mademoiselle Yozoutchi accepta de prendre part à l'expérience. Sa production ne fut guère meilleure. Au bout des cinq minutes accordées, avec de nombreuses hésitations et reprises, elle n'avait pu produire que le texte suivant: «Il y avait des housses et une pendule d'albâtre à colonnes. Il y avait des fleurs dans une corbeille de bronze...». «Vous voyez, dit Cantarel, la difficulté où l'on est à écrire, inventer du texte nouveau lorsque nos organes n'y sont pas entraînés. Je vais vous montrer l'effet de ma bolkha lorsqu'elle est formée par un maître. Vous connaissez tous, ici, certainement, les écrits du prix Nobel de littérature, Mohammad Kitab. Originaire d'une civilisation où les traditions orales sont encore vivaces, il est habitué à l'improvisation et vous savez certainement qu'il s'est fait une spécialité des performances publiques d'écriture. C'est pour ce talent particulier que je lui ai demandé de venir.»

Le romancier, un homme sans âge, effacé et discret, monta sur la scène. A la demande de Palancy, il enfila les gants, mit la cagoule que le chercheur relia par un fil à un appareillage informatique, et prit le stylo. Il commença aussitôt à écrire: «C'était une journée grise et triste, vous vous sentiez mortellement las, il y avait des housses et une pendule d'albâtre à colonnes, des fleurs, des roses pâles dans une corbeille de bronze. Devant le coucou qui indiquait douze heures cinquante, vous avez eu un geste désespéré, à quoi diable pouviez-vous vous attarder ainsi dans la chambre ? Vous étiez très contrarié de voir que quelqu'un avait laissé une bougie allumée, une bougie qui, au milieu du grand silence, brûlait avec une flamme haute et triste. Sur la cheminée, il y avait encore des épingles à cheveux, des boîtes de carton dorées pleines de boutons et de pastilles, d'images découpées. Vous avez allumé la lampe, une petite lampe à pétrole sans abat-jour...» L'écriture coulait presque sans pauses avec seulement de tous petits arrêts indiquant que l'auteur hésitait devant une tournure, cherchait quelque chose avant de repartir de plus belle: «C'était un triste jour d'automne, les feuilles tombaient...» La sonnerie interrompit l'écrivain.

«A vous, monsieur Khat, si toutefois vous acceptez!» Le jeune homme revêtit l'équipement de l'écrivain. Bien que son écriture fut encore hésitante, il semblait moins embarrassé. Sans faire preuve de la maîtrise tranquille de Mohammad Kitab, son inspiration semblait plus fluide et dans les cinq minutes imparties, il réussit à prolonger ainsi le texte : «Il faisait un vent froid. De la fenêtre, vous voyiez le boulevard couvert de monde, pourquoi diable éprouviez-vous le besoin de vous attarder ainsi ?...»

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