Une séance d'écriture (Palançy 08)
Le volontaire, un nommé Khat, jeune
homme fin aux cheveux très noirs, semblait bien embarrassé. Il prit le
stylo, commença à écrire. Sur l'écran à diodes, les pastilles tracèrent
lentement un texte hésitant, maladroit: «C'est une journée...», «C'est
une journée grise, une journée triste...» Il réfléchit longtemps, le
texte s'effaça, devint «C'est une journée grise et triste, il est midi,
il fait bon, le soleil étincelle dans un ciel pur...», nouvel
effacement: «dans un ciel uniformément pur, les oiseaux...». Nouvel
arrêt, le texte n'avançait pas, l'écriture était laborieuse. Une légère
sonnerie se fit entendre:
"Le temps est épuisé dit Palancy,
quelqu'un d'autre parmi vous veut-il essayer?" Une jeune femme,
présentée comme Mademoiselle Yozoutchi accepta de prendre part à
l'expérience. Sa production ne fut guère meilleure. Au bout des cinq
minutes accordées, avec de nombreuses hésitations et reprises, elle
n'avait pu produire que le texte suivant: «Il y avait des housses et
une pendule d'albâtre à colonnes. Il y avait des fleurs dans une
corbeille de bronze...». «Vous voyez, dit Cantarel, la difficulté où
l'on est à écrire, inventer du texte nouveau lorsque nos organes n'y
sont pas entraînés. Je vais vous montrer l'effet de ma bolkha
lorsqu'elle est formée par un maître. Vous connaissez tous, ici,
certainement, les écrits du prix Nobel de littérature, Mohammad Kitab.
Originaire d'une civilisation où les traditions orales sont encore
vivaces, il est habitué à l'improvisation et vous savez certainement
qu'il s'est fait une spécialité des performances publiques d'écriture.
C'est pour ce talent particulier que je lui ai demandé de venir.»
Le
romancier, un homme sans âge, effacé et discret, monta sur la scène. A
la demande de Palancy, il enfila les gants, mit la cagoule que le
chercheur relia par un fil à un appareillage informatique, et prit le
stylo. Il commença aussitôt à écrire: «C'était une journée grise et
triste, vous vous sentiez mortellement las, il y avait des housses et
une pendule d'albâtre à colonnes, des fleurs, des roses pâles dans une
corbeille de bronze. Devant le coucou qui indiquait douze heures
cinquante, vous avez eu un geste désespéré, à quoi diable pouviez-vous
vous attarder ainsi dans la chambre ? Vous étiez très contrarié de voir
que quelqu'un avait laissé une bougie allumée, une bougie qui, au
milieu du grand silence, brûlait avec une flamme haute et triste. Sur
la cheminée, il y avait encore des épingles à cheveux, des boîtes de
carton dorées pleines de boutons et de pastilles, d'images découpées.
Vous avez allumé la lampe, une petite lampe à pétrole sans
abat-jour...» L'écriture coulait presque sans pauses avec seulement de
tous petits arrêts indiquant que l'auteur hésitait devant une tournure,
cherchait quelque chose avant de repartir de plus belle: «C'était un
triste jour d'automne, les feuilles tombaient...» La sonnerie
interrompit l'écrivain.
«A vous, monsieur Khat, si toutefois
vous acceptez!» Le jeune homme revêtit l'équipement de l'écrivain.
Bien que son écriture fut encore hésitante, il semblait moins
embarrassé. Sans faire preuve de la maîtrise tranquille de Mohammad
Kitab, son inspiration semblait plus fluide et dans les cinq minutes
imparties, il réussit à prolonger ainsi le texte : «Il faisait un vent
froid. De la fenêtre, vous voyiez le boulevard couvert de monde,
pourquoi diable éprouviez-vous le besoin de vous attarder ainsi ?...»