La vérité de l'homme
Des douze lettres promises, ne m'en
sont, à ce jour, parvenues que cinq. Six si l'on prend en compte la
ruse un peu facile consistant à faire d'une deux et l'espèce de tract
puéril que constitue l'avant-dernière. La dernière reçue maintenant
date de trois mois. Et dans l'incertitude où je suis de l'importance de
l'échange, je n'ai plus nulle envie de relancer le jeu.
Dans
cet espèce de vide qu'une publication provoque, en nous enlevant un peu
de notre âme, je n'ai cependant plus la certitude de savoir si ces
textes répondent à la question que j'avais posée ou si, tirant partie
du prétexte qui lui était offert, il n'en a pas profité pour parler
d'ailleurs, d'un endroit dont il ignore la plupart des recoins: un
espace à lui seul où seule le mène la poursuite.
Si
aujourd'hui je me résigne à la publication, c'est que je n'ai plus la
certitude de mon jugement initial. Peut-être m'a-t-il répondu? La
vérité d'un homme est dans ce qu'il cache. Sans savoir d'où elles
viennent, le poète est hanté par des voix. Il possède une antenne dans
sa bouche et traduit en langage les impulsions reçues. Sous la violence
parfois excessive du ton, sous ses changements imprévisibles, derrière
les nombreuses incohérences des propos, leur inadéquation aux sujets
prétendus et leurs fréquentes banalités, il me semble maintenant
percevoir comme une honnêteté foncière, parfois même une vraie
souffrance, le contre-texte vigilant qu'une écriture oppose au
monologue du pouvoir... L'inutilité de nos vies, de nos amours, de nos
grouillements divers n'autorise, pas plus que le vélo, le moindre
immobilisme. Seule la dynamique du pédalier assure l'équilibre. Le
mouvement des mots...